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Maintenir le cap

 

EPISODE  2

Se forger une indépendance est un travail au long cours et la maintenir, une attention de tous les instants. Et ça commence
en interne.

A chaque structure son mode de fonctionnement. Ses postes et sa hiérarchie. Sa rigidité ou sa souplesse. Car l’indépendance se joue sur tous les fronts : y compris dans la place accordée au journaliste au sein d’un média. Ce sont ces zones de liberté, ces marges de manœuvre qui confirment ou infirment cette prétendue indépendance.

Légalement, un statut est obligatoire : le directeur de publication est responsable pénal et reçoit les plaintes. Hormis cet impératif, une entreprise de presse peut prendre la forme qu’elle souhaite. Parmi les nouveaux médias indépendants, de plus en plus s’inspirent d’un modèle horizontal. Selon Franck Annese du groupe So Press, l’indépendance conduit vers « des cadres plus libres, qui sont également dûs à la jeunesse des médias. Une époque. » A l’inverse, « il y a des médias qui ont besoin d’être cloisonnés », ajoute-t-il. Peut-être est-ce aussi une question de mentalités et de profils.

L’Age de faire, journal national traitant de l’actualité économique et solidaire, a connu quelques changements depuis sa création en 2005. A l’origine journal associatif, aujourd’hui les huit salariés qui le composent sont réunis autour d’une SCOP (Société Coopérative Ouvrière de Production). Après une expérience médiatique aux Comores, Lisa Giachino, journaliste.  ne se sentait pas de travailler dans une « rédaction organisée classiquement ». C’est ainsi qu’elle a accepté de rejoindre L’Age de faire, avec comme mission : conduire le passage du statut d’association à SCOP. Attention, il ne s’agit pas

« Cela s’est vite imposé comme une évidence. Il y avait un souhait d’autogestion, d’émancipation »,
 raconte-t-elle. Ce que permet aussi une association mais sans

garantie. Pour la journaliste, l’indépendance est relative. « On dépend aussi de subventions directes ou indirectes. Sans quoi c’est très compliqué de faire de l’information indépendamment d’acteurs économiques. »

« C’est la première condition de l’indépendance » avance Raphaël Garrigos des Jours. Il parle de transparence quant à la répartition du capital, visible sur le site. Mais aussi, de prouver aux lecteurs cette indépendance assumée. Le journaliste prend l’exemple d’un article ciblant une école de développeurs que Xavier Niel, actionnaire aux Jours à hauteur de 4,79 % , a lancée. 2ème condition : « être détenu par plus de 50 % de son capital par ses fondateurs ».

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Il faut gérer son actionnariat. « Ce sont des choses qui se négocient » sur le long terme et dès l'entrée dans le capital d’une personne extérieure. Raphaël Garrigos étaye son propos : « On n’a pas pensé à contacter Serge Dassault. L’argent a quand même une odeur. On considère qu’il n’est pas bon d’avoir un actionnaire qui fait de l’optimisation fiscale » (légale quand ça ne devient pas de l’évasion, ndlr). Les Jours agissent en totale transparence : « Quand on va voir de potentiels actionnaires, on leur dit qu’attention, on n’est pas en train de leur proposer la propriété du média, mais un petit bout, qu’ils n’auront rien à nous dire ». Enfin, aucune ressource n’émane de la publicité. Même si, cette dernière, n’impacte pas systématiquement la ligne éditoriale.

Pour le groupe So Press en effet, rien de si radical. « Il ne faut pas qu’il y en ait de trop », limite Franck Annese. Le chantage ne fonctionne pas : « C’est un rapport de forces et des discussions intelligentes. S’ils veulent ne plus en mettre, tant pis pour eux. Ils y perdent autant que moi ». Au fond, selon ce fondateur, « si le modèle économique ne dépend pas que de ça, ça va ». Pour So Press, la publicité représente 25 % du CA.

« Il est urgent de s’y atteler ». Julia Cagé, économiste spécialiste des médias et présidente de la Société des lecteurs du Monde, est favorable à une indépendance médiatique. Cela passe par un changement de la loi : « il faut redéfinir les règles qui encadrent et régissent les aides à la presse ». Cependant, il ne faut pas selon elle faire une loi « anti-Bolloré » mais une loi généraliste pour tous médias avec de grands principes. Le but, garantir une gouvernance démocratique avec des journalistes plus impliqués dans les décisions liées au journal. Ceci, grâce à un pouvoir décisionnel plus fort, une transparence complète, ou encore une masse salariale comprise dans le CA, « d’au moins 35 % ». L’économiste pense aussi à une autre piste : prendre le statut de société de médias à but non lucratif.

« Plus philosophiquement et plus fondamentalement encore, l’indépendance, ce n’est pas que par rapport au secteur privé. C’est aussi vis-à-vis de l’Etat », déclare Stéphane Alliès, codirecteur éditorial de Mediapart, média d’enquêtes en ligne. Après deux ans durant lesquels un crédit d’impôt à la recherche est versé, la décision est prise collectivement de « rompre » avec toute aide publique. Pour lui, ces fonds d’aide à la presse ne devraient servir que de « mise à flot d’un journal ».

Julia Cagé

 -économiste, spécialiste des médias, d'économie politique et d'histoire économique

 -Autrice de Sauver les médias (2015), Le Pris de la démocratie (2018) et L'information est un bien public (2021 - co-écrit avec Benoît Huet)

 -Enseignante en économie à Sciences Po Paris

 -Présidente de l'association Un bout du monde

L’information, un bien public

« Une prise d’autonomie »

Une affaire de transparence

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Le journaliste questionne aussi leurs conditions d’attribution. Pour un média comme Télé Magazine qui perçoit ces aides, il fait cette remarque : « je ne vois pas l’intérêt. Ni le sens ». Pourtant, beaucoup de médias indépendants en dépendent.

Les médias indépendants accordent une grande importance à l'énonciation claire et au maintien de leur ligne éditoriale. Cela leur permet de gagner la confiance des lecteurs mais aussi d'y inscrire leur identité. Reporterre pour l’environnement, L’Age de Faire pour une économie sociale et solidaire, la nouvelle revue La Déferlante pour la place des femmes, des journaux d’enquêtes et de satire comme
le Ravi

Ces journaux ont tous un point commun : l’engagement. Et même s’ils ne se revendiquent pas de partis politiques, ils ne semblent pas, en apparence, apolitiques. 

“C’est une question de rigueur journalistique” tranche Tristan Goldbronn de Radio Parleur, qui ne définit pas son média comme militant mais engagé. « Un média, même non dit indépendant, est forcément engagé, lâche-t-il. C’est toujours le débat de l’objectivité dans le journalisme. Elle n’existe pas à partir du moment où on angle un sujet avec une approche précise. Pour moi, en tant que journaliste, c’est un mythe. Ça n'existe pas ». En revanche, attention à l’amalgame, « il y a des médias militants qui sont rigoureux. Tout dépend de l’objectif », précise-t-il. 

Alexandre-Reza Kokabi travaille à Reporterre. Climat, biodiversité, crise sociale et écologique, alternatives, luttes « contre un modèle destructeur » sont autant de sujets qui sont décortiqués par le journal. Pour lui, le caractère engagé est évident. Pour le côté militant, tout dépend de l’utilisation de ce terme. Souvent « discrédité pour suggérer que nous n'utilisons pas la pondération et n'apportons pas d'éléments contradictoires », il pourrait idéalement signifier le fait de « faire partie d'un mouvement social en traitant de questions écologiques et sociales », professe-t-il.

La question peut aussi être posée à Mediapart, pour qui le crédo est
« la radicalité démocratique  », exprime Stéphane Alliès. « Tout le
monde ne s’identifiera pas comme un journal de gauche, mais tout le
monde s’assumera comme un journal qui porte des engagements, un
journal qui ne commente pas en surplomb la société mais qui assume
d’en faire partie. Et parfois, d’être au côté de la société mobilisée
 », complète le journaliste, en mentionnant le fait d’avoir manifesté contre la loi sécurité globale. « Par contre, on est absolument rétif à tout

Il arrive pourtant que des internautes lui reprochent un manque d’impartialité dans la publication d'enquêtes à point nommé en périodes électorales.
Il s’en défend : « le calendrier a toujours été celui-là : on a une information, on enquête, le papier est terminé, il passe chez l’avocat et quand il est prêt à publier, on publie. On ne va pas retenir des

« On est forcément biaisé par une part de notre subjectivité. Ça ne sert à rien de la museler, mais ça ne doit pas nous empêcher d’agir avec honnêteté ».  Seule solution donc pour tendre vers le plus d’objectivité possible, compter sur le pluralisme des médias. Etre indépendant permet finalement un engagement plus honnête avec les lecteurs, plus proches d'eux.

Pour faire du terrain, encore faut-il avoir accès aux sources. C’est le précieux carnet d’adresse dont parlent tant les journalistes. Raphaël Garrigos, fort de son expérience passée, se « méfie des jeunes journalistes qui veulent lancer un média indépendant tout de suite, c’est beaucoup plus dur ». Il n’échappe pas lui-même à quelques difficultés en travaillant aux Jours. « La contrainte c’est lorsque j’appelle quelqu’un. Quand je dis “Raphaël Garrigos de chez Libération”, les gens retiennent Libération. Quand je dis “Raphaël Garrigos des Jours”, ils ne retiennent rien du tout. »

Peu importe l’indépendance d’un média, le besoin d’être reconnu est essentiel pour une liberté de mouvement des journalistes y travaillant. Et comme pour tout média, cela demande du temps pour devenir, surtout en matière politique, « incontournable, le rendez-vous obligé ». Car, signale Raphaël Garrigos, « de la même façon qu’il faut réussir à se faire connaître des lecteurs, il faut réussir à se faire connaître
des sources
 ».

Néanmoins, à travailler dans de petites structures indépendantes, il y a une contrepartie : l'accès à d'autres sources et terrains, inabordés ou normalement inabordables par la presse. Tristan Goldbronn de Radio Parleur a pu pour un sujet rencontrer des bad blocks, moins méfiants vis-à-vis d’un média moins imposant, « sans argent » et donc doté « d’un capital sympathie ». Même constat pour le média L'Age de faire, ayant pu se rendre en ZAD (Zone à Défendre ) à Notre Dame des Landes.

La charge financière des déplacements reste une contrainte pour ces journaux. La couverture d’un territoire, national ou international, peut vite s’en trouver limitée. C’est aussi une des raisons qui explique l’emploi de pigistes.

Ne pas être rentable. C’est le « luxe » dont parle Franck Annese de So Press. Grâce au fait de ne pas verser de dividendes, le groupe de presse ne se refuse aucun sujet : « Si on appartenait à un gros groupe, on n’aurait jamais lancé autant de magazines. Comme Society par exemple. » Un magazine dit peu rentable et pas scalable, dans le sens où le magazine, à la revente, « ne vaut rien ». Cette obligation économique en moins, le patron de presse se sent plus libre : « Parce qu’il n’y a pas que la censure par intérêt pour un tiers, il y a aussi le fait de ne pas faire tel ou tel sujet parce qu’on se dit que ça ne va pas marcher. Nous on s’y autorise ».

Il y a celle qui vient de l’extérieur, et celle, plus insidieuse, qui se fait en interne. La censure devient alors autocensure. C’est une censure intégrée, pernicieuse pour l’information.  Stéphane Alliès, journaliste à Mediapart, dit en être le témoin régulier. « Une à deux fois par mois, des journalistes nous transmettent des informations qu’ils ne peuvent pas sortir dans leurs journaux, indique-t-il. Après, la base, en termes d’informations censurées, c’est quand même la PQR ».  D’autres formes de censures ne sont pas aussi contournables.

Leurs rouages sont obscurs mais pourtant bien présents. Sur le web, les algorithmes sont surpuissants. Ce sont eux qui aident l’internaute dans ses recherches et lui présentent des résultats. Un cheminement qui laisse des traces appelées données. Celles-ci sont récoltées, analysées et parfois même surveillées : à des visées marchandes, voire politiques.

« Il y a une machine de guerre en face. Ce sont les GAFAM : Google Amazon Facebook Apple et Microsoft », martèle Denis Robert, dixit celui qui souhaite persévérer sur YouTube avec le média Blast et, contre l’avis général - pris en compte - se faire rémunérer par la plateforme. Il en a pourtant déjà fait les frais. « Trois de mes éditos ont été censurés au Média. Des plaintes de la Macronie sont allées jusqu’à YouTube et le réseau a censuré ». Il reprend, « Les algorithmes sur l’information posent un problème d’indépendance ». Il perçoit un gouvernement « attentif » à ces phénomènes d’audience. Le journaliste s’attend à d’autres censures.

Envoyer ses journaux, les diffuser en kiosques ou chez l’abonné, sont des éléments à prendre en compte pour penser sa distribution papier. D'autant qu'il faut y trouver sa place. L’Age de faire à titre d’exemple, fait le choix de ne pas passer par des kiosques. D’abord parce que, Lisa Giachino, salariée, craint que « le petit titre indépendant » soit noyé « dans une multitude de journaux ». Ensuite, s’ajoute à cela une raison financière. Vendu à l’unité au prix de deux euros, le journal ne rentabiliserait pas les frais de tels intermédiaires. Elle énumère les coûts : société de diffusion, la commission du magasin de presse à payer, sans compter les pertes…

Car pour couvrir les kiosques, l’impression doit être plus importante. Et avec une moyenne de 60 % d’invendus, le calcul n’est pas facile. « Et ce n’est pas un mauvais score », ajoute Lisa Giachino, rappelant alors les bienfaits de leur système : imprimer selon le nombre d’abonnés et de diffuseurs (associations, entreprises… Chez qui le journal est envoyé).

Même si ce système se discute toujours en interne, ce n’est pas prêt de changer car le classique, « est en train de se casser la gueule ». Comme a pu le montrer l’affaire Presstalis. Et ce n’est que le dernier maillon d’une longue chaîne journalistique qui commence bien avant la distribution : sur le terrain.

L’exercice du métier se complexifie : arrestations, violences policières, manque de reconnaissance en absence de carte de presse… La liste d’entraves à l’information auxquelles il faut faire face s’allonge. Alexandre-Reza Kokabi de Reporterre ne s’explique toujours pas ses « 10h passées en garde à vue » après avoir couvert une mobilisation d’Extinction Rebellion. « Je leur ai pourtant montré ma carte de presse. » Une carte non obligatoire et de moins en moins distribuée par la Commission (CCIJP). Pour les médias indépendants, ce n’est qu’une partie des difficultés.

« Le journalisme indépendant c’est publier quelque chose que quelqu’un ne veut pas voir publié. Et tout le reste, ce sont des relations publiques. » Cette citation n'est pas de Stéphane Alliès, mais de George Orwell, écrivain dystopique. Pourtant, elle semble bien intégrée par Mediapart. Niveau procès, le média en comptabilise, depuis sa création, plus de 250. « Il n’y a pas de courbe exponentielle, exprime le journaliste. On est sur une fréquence de 3 à 4 procès par mois. » Ce qui implique des frais. Éloquent, il ajoute : « Oui, notre avocat est assez content ». Mais il n’est pas le seul. Bastamag, Reporterre ou encore Le Ravi sont victimes des procédures dites Bâillon. Des lourdes condamnations qui, comme Stéphane Alliès, le rappelle « ne vont pas avoir le même sens pour le Monde que pour Bastamag en termes d’équilibre économique ».

Julia Cagé, économiste des médias, qualifie d’ « inédits, dans les dernières décennies, les coups portés » à la presse en général pour « réguler son indépendance ». Elle décrit ainsi les procédures-Bâillon : « l’idée n’est pas de gagner. L’idée c’est de faire en sorte que le journaliste passe son temps au tribunal au lieu de faire des enquêtes, et d’essayer de mettre à genou les médias qui n’ont pas les
mêmes moyens.
 »

Après l’attentat perpétré à Charlie-Hebdo, journal satirique, une nouvelle aide à la presse apparaît. C’est le fonds de soutien aux médias d’information locale mis en place par décret en 2016. Il s’inscrit également dans le cadre de l’EIM (Education aux Médias et à l’Information). Pour y prétendre, une bataille politique de reconnaissance est lancée. Le Ravi, alors en redressement judiciaire, et d’autres médias indépendants montent au créneau pour se faire reconnaître auprès du Ministère de la Culture. Le Ravi l’interpelle :
«Vous êtes Charlie, mais est-ce que vous êtes Ravi ? »

Au bout d’un an et demi, le Ravi finit par obtenir gain de cause. Mais il faut encore batailler avec des appels à projet tous les ans. Le rédacteur en chef du journal fait l'analogie entre social et journalisme. Car pour obtenir ces aides, « il faut montrer à chaque fois de la nouveauté et de l’innovation ». Ce qui explique malheureusement selon lui qu' « un certain nombre de médias ayant pu être aidés, ne l'aient plus été ensuite » . Les places sont plus chères pour « une enveloppe restée figée, alors que le nombre de médias a augmenté » déplore Sébastien Boistel. Finalement, peu importe la subvention, il faut tenir compte du fait qu'elle « peut disparaître d'une année à l'autre ».  D’où l’importance, note-t-il, d’une « hybridation des revenus ».  Quitte aussi à faire des demandes de subventions dans plusieurs collectivités territoriales.

« L’un des premiers réflexes d’un responsable politique attaqué c’est de couper les vivres », explique Sébastien Boistel, rédacteur en chef d’un média à double casquettes : l’enquête et la satire. « Ce qui provoque pas mal d’inimitiés », surtout en local où tout le monde peut se connaître et être amené à se croiser. Le journaliste rapporte même des difficultés liées au contenu des papiers pour obtenir ces précieuses subventions.

Ils sont « irrévérencieux  ». Les dessins de presse chatouillent, dérangent. C'est un « coup de pied dans la fourmilière » locale. Plus d’impact, plus débattus… Ils sont la cible de plus de reproches que les enquêtes. Par définition, exprime Sébastien Boistel, le dessin de presse est « clivant ». Comme le montrent également la quantité de procès s’attaquant surtout aux dessins.

« Ce n’est pas nos dessins qui sont caricaturaux, c’est la réalité qui est caricaturale », apostrophe Sébastien Boistel, se souvenant d’un numéro parodique à la manière du Gorafi pris au premier degré alors qu’il y avait « tous les indices ».

Pourtant « précieux dans l’espace public » , le dessin de presse est une tradition « qui tend à disparaître ».  Les raisons : « ça coûte cher et prendre à rebrousse-poils `et provoquer des débats assez vifs ne sont pas les mots d’ordre de tous les journaux ». Entrer en ligne de mire en braquant le lecteur n’est en effet pas la tasse de thé de tous.

A Nancy, Claire Cordel travaille dans un petit atelier partagé baptisé
« L'échappée bleue » . Elle y dessine pour elle, pour de l'illustration humoristique jeunesse et pour des médias indépendants. Son intérêt à représenter la presse commence alors qu'elle étudie encore à l'école des Beaux-Arts, période pendant laquelle elle affiche ses dessins dans la rue. Puis, elle démarre dans un petit média indépendant « Porté à bout de bras » et maintenant disparu, nommé Le Nouveau Jour J. Dans ce monde de la caricature dominé par les hommes, elle se voit comme « un ovni ».

La caricature : une liberté de ton

L’entraide, une ligne de survie

« On aurait du mal à s’en passer », exprime Sébastien Boistel, rédacteur en chef du Ravi, journal mensuel édité par l’association la Tchatche, en parlant des partenaires. A titre d’exemple, concernant le mal logement à Marseille, le Ravi s’associe aux médias locaux Marsactu et La Marseillaise ainsi qu’à Mediapart pour l’enquête « la grande vacance ». Ce genre de collaboration leur permet de s’entraider et de gagner par la même occasion en visibilité et en reconnaissance.

Le partenariat peut être éditorial… mais aussi financier. C'est ce que propose Mediapart, présent dans le capital de Marsactu, ou encore de Rue89 Strasbourg. C'est « une logique de grand frère et non de groupe de presse », explique Stéphane Alliès, conscient, au vu du nombre de CV reçus en 13 ans,  « d’une presse qui va de plus en plus mal ». Même s’ils ne partagent pas tous une même ligne éditoriale, ils partagent une vision. Et également, « l’idée que l’information a un coût ». Ils sont donc pour la plupart, sur un modèle par abonnement.

D'ailleurs, Mediapart a depuis 2019 fait le choix de « sanctuariser » son capital dans une fondation. Une manière de ne pas dépendre de ses fondateurs et actionnaires, et risquer plus tard, en leur absence, un potentiel rachat. Mais aussi, d'occuper une deuxième fonction avec la création du FPL (Fonds pour une Presse Libre avec possibilité de recevoir des dons) : aider les médias indépendants. Aucun argent extérieur versé dans ce fonds ne peut être injecté au profit de Mediapart.

« Cette année le CA de la fondation va permettre de subventionner 3 projets qui avoisinent les 30 ou 40 000 euros », annonce Stéphane Alliès qui voit d’un bon œil cette aide à destination d’initiatives naissantes, selon lui trop peu considérées vis-à-vis d’autres médias pourtant plus gros et déficitaires. « Pour l’instant, l’argent, la puissance et le pouvoir sont du côté du monde en train de mourir et pas encore du tout du côté du monde en train de naître. »

«un coup de pied dans la fourmilière »

« Êtes-vous Ravi ? »

Faire face aux poursuites

Penser sa distribution

Le pouvoir caché des algorithmes

Contourner la censure

Besoin d’être reconnu

Médias indépendants, engagés… Militants ?

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Bien choisir sa structure

La société coopérative peut prendre plusieurs formes, dont celle de SCOP. Sa spécificité réside en sa gouvernance démocratique, avec des salariés au statut d’associés. Ils sont obligatoirement majoritaires de la société et possèdent un minimum de 51% du capital.  Mais il existe plein d'autres formes de structure choisies par les médias indépendants : association, SAS, SARL… Les syndicats et les incubateurs peuvent aider à trouver celle qui convient le mieux.

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Une aide pour les médias sans publicité

L’Age de faire par exemple a fait le choix de ne pas diffuser non plus de publicité. Le journal touche donc une subvention chaque année, l’aide pour les médias à faible revenu publicitaire. “L’année dernière on a touché 34 000 euros sur un CA de 300 000 euros. Ce n’est pas la majorité de nos recettes, continue Lisa Giachino, mais sans elle, on serait déficitaire. Ça fait partie de notre équilibre économique”.

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Le scandale de Presstalis

Presstalis, société privée de distribution, fait faillite en avril 2020. A l’époque, elle a la charge de 70% de la presse française. C’est un coup dur pour les journaux et magazines concernés qui en ressentent déjà l’impact sur leurs taux de vente. En juillet 2020, la société est finalement sauvée grâce à une offre de reprise émise par des quotidiens et une aide publique pour concrétiser le rachat. Mais le mal est fait : de nombreuses filiales régionales sont liquidées entraînant des centaines de suppression de postes. Désormais, elle s’appelle France Messagerie et est dirigée par plusieurs représentants de presse. Cette affaire eut pour effet de questionner la fiabilité d’un tel modèle. La loi Bichet sur les regroupements de presse a été modifiée.

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Procédures-Bâillon

Sur internet, on peut trouver la définition suivante : « instrumentalisation de la justice mise en œuvre par une entreprise ou une institution, qui vise à prévenir ou sanctionner l’expression d’une opinion qui lui serait préjudiciable, en impliquant notamment la personne qui formule cette opinion dans une procédure juridique coûteuse ». Ce fait délictueux ne trouve pas de fondement juridique. Néanmoins, ces procédures sont pénalement répréhensibles, au motif « d’usage abusif » du droit de saisine. (cf : article 1382 du Code Civil.  Article 32-1 « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »)

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Loi “sécurité globale”

La proposition initiale de loi relative à la sécurité globale a suscité de nombreuses mobilisations dans tout le pays. Ce sont les droits individuels dont la liberté de la presse qui semblent menacés. Dans un contexte où des violences policières sont dénoncées, difficile d’être en faveur d’une réglementation plus stricte quant à la diffusion d’images servant à identifier des policiers pour une motivation peu définie. Même s’il était question de la diffusion et non de la captation d’images, le texte interrogeait sur les conditions d’application sur le terrain pour toute personne souhaitant faire une activité de journalisme.

d’un rachat, mais d’une transmission. Aucun argent n’a été versé à son créateur, resté associé extérieur malgré des points de dissension concernant l’évolution de la ligne éditoriale. La seule condition était que les salariés investissent dans la nouvelle entreprise.

attachement partisan. Le journal est tout à fait clair dans sa laïcité par rapport au monde politique ».

informations, ou se dire “tiens dans deux ans, il y a machin qui va se porter candidat. On va enquêter sur lui pour ressortir des trucs juste avant”. Ça ne se passe jamais comme ça ». Il ne se dit cependant pas dupe quant aux motivations des sources. « Mais la dimension du règlement de compte n’est pas notre sujet. Notre sujet c’est : est-ce qu’à l’issue de ce qui est sans doute une volonté de nuire il y a une information ? »


  Episode 3


      Episode 1

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Xavier Niel

 -12ème plus grande fortune française
 -Actionnaire majoritaire de Le Monde, Le Monde diplomatique, Le Monde des religions, Pier, M, La vie, Télérama, Le Courrier international, Manière de voir et de l'Obs. 

Serge Dassault

 -Industriel, homme d'affaire et politique
 -Milliardaire

 -Cité dans les Paradise Papers pour blanchiment de fraude fiscale dans les paradis fiscaux 

Stéphane Alliès

 -Journaliste
 -Co-directeur éditorial à Mediapart

 -A travaillé pour Libération, Figaro.fr et 20 minutes.fr 

Alexandre-Reza Kokabi

 -Journaliste à Reporterre

 - Auparavant, pigiste pour Basta, Mediapart, Ouest France, Le quotidien de la Réunion, Le petit quotidien et Mon quotidien  

Lisa Giachino

 -Rédactrice en chef à L'Age de faire
 -Employée à la Maison commune (voir le reportage dans l'épisode 3)

Sébastien Boistel

 -Journaliste au Ravi
 -Auparavant à l'Humanité 

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69,14 %

21,14 %

9,72 %

Répartition du capital au média Les Jours

Parts des neufs co-fondateurs

Parts Société des Amis des Jours et des Anaxago (abonnés et lecteurs actionnaires)

Parts de Xavier Niel (4,79 %), Olivier Legrain (3,09 %), Renaud Le Van Kim (3,01 %), Matthieu Pigasse (2,97 %), Pierre-Antoine Capton (1,94 %), Jean-François Boyer (1,44 %), Marc-Olivier Fogiel (0,96 %), Eric Cannamela (0,72 %), Hervé Chabalier (0,68 %), Rodolphe Belmer (0,30 %), Stéphane Distinguin (0,29 %), Jean-François Guichard (0,19 %) et Friends & family (0,76 %)

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Le statut d’entreprise de presse en France repose sur trois principes légaux : transparence, pluralisme et indépendance.

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Sur le site du Ministère de la Culture, des données sur la distribution de ces aides sont disponibles. Même si les dernières publiées datent de 2017…

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Autre genre d'engagement, Reporterre met en place une rédaction à chef tournante. Ce qui permet, « en dehors d'une hiérarchie très claire », d'y trouver des hommes comme des femmes, ajoute fièrement le journaliste. Une autre forme d’engagement permise par une hiérarchie plus souple.

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Déjà adoptée à l’Assemblée Nationale en novembre 2020, le Sénat adopte, le 18 mars 2021, en première lecture, la proposition de loi dite “sécurité globale”(n°3996). Modifiée, elle s’appelle dorénavant “proposition de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés”. L’étape juridique suivante est sa promulgation. 

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La “loi Avia” (n°2020-766) contre la haine en ligne est la plus récente. Retoquée en juin par le conseil constitutionnel, une partie remise en cause est malgré tout conservée à son entrée en vigueur le 24 juin 2020. Elle comprend la création d’un parquet spécialisé, un observatoire de la haine en ligne rattaché au CSA... La loi est critiquée car elle délègue aux plateformes un rôle de régulateur et pour sa potentielle dérive dans la censure du contenu publié.

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Des aides indirectes sur les tarifs postaux (argent versé à la Poste pour des tarifs préférentiels envers les médias) et directes à la diffusion peuvent être allouées. Diffuseurs et éditeurs de presse sont ainsi concernés.

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Pour le média attaqué pour diffamation, il est possible de se défendre en invoquant l’exception de bonne foi inscrite dans la jurisprudence. Les 4 conditions sont : la poursuite d’un but légitime (intérêt général), l’absence d’animosité personnelle, le travail sérieux de l’enquête ainsi que la prudence et la mesure dans l’expression. Evidemment, il faut aussi prouver la véracité des faits imputés.

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Claire Cordel Maintenir le Cappng
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Stéphane Alliès (Mediapart)

Alexandre Reza-Kokabi (Reporterre)

Sébastien Boistel (Le Ravie)

Sébastien Boistel (Le Ravie)